Prise de position concernant Gn 2
Le mystère de la Création est fondateur : il a beaucoup d'importance pour nos vies. S'interroger sur son origine est pour l'homme une constante culturelle, anthropologique, religieuse. Dans la Bible, nous avons deux récits qui nous enseignent. Dans leur variété littéraire, ils sont différents mais leurs thèses fondamentales sont les mêmes. De plus ils s'enrichissent mutuellement. La lecture de la parole biblique inspirée doit toujours s'interpréter à la lumière de textes différents : l'ancien testament contient des « figures » de ce qu'est le Messie. Le nouveau testament éclaire par Jésus certains passages de l'ancien testament. L'ensemble des textes bibliques forment un seul corps de livres inspirés. Une erreur souvent faite par certains commentateurs est de prendre un passage et quelques versets et d'oublier d'en voir les résonnances dans le corpus biblique entier. Dans ses catéchèses sur l'amour humain dans le plan divin, Jean-Paul II ne fait pas cette erreur puisqu'il parle longuement de la Création, de l'histoire du peuple de Dieu, de la rédemption en Christ. Il relit par exemple la création par une belle interprétation paulinienne.
Les récits de la Création affirment :
L'égalité entre l'homme et la femme.
L'existence de la différence sexuelle qui est un bien et qui est voulue par Dieu.
La réalité d'un lien particulier entre tout homme et le Créateur (« à l'image et à la ressemblance divine »)
La bénédiction de la relation homme-femme.
La bénédiction comprend toujours l'ouverture à une nouvelle génération
La différence claire entre l'homme et le monde animal.
L'histoire humaine montre que la relation homme-femme a été souvent blessée et mal vécue. Nous ne sommes plus au Jardin d'Eden. Mais elle appartient au plan de Dieu et elle est sauvée par le Christ Seigneur. C'est le propos du corps des catéchèses de Jean-Paul II de montrer l'origine, la blessure et le péché, la rédemption du corps par le Christ. Ces catéchèses ne sont pas idéalistes : il suffit de lire les commentaires du Cantique des Cantiques et du livre de Tobie ! Le mariage est un des lieux où l'amour humain s'accomplit et est sauvé. Le culturel engage la nature de tout être humain : il existe bien sûr une interrelation entre les deux. Pas de nature pure, mais pas de culture parfaite ou totalement pérenne. Car les circonstances et les traits culturels ne détruisent jamais totalement des composantes anthropologiques fondamentales communes. L'humanité reconnue de l'être humain est un bien commun à tous. Il y a des essentiels, des invariants dans la considération de l'être humain : ce qu'on appelait le plus souvent « la nature humaine ». Il nous faut aussi pour mieux comprendre la structure sponsale de l'être humain telle qu'elle est présentée par Jean-Paul II, en parler avec le genre littéraire des récits de la Création et la prise de conscience que ce qui est le dessein de Dieu à l'origine nous est transmis dans une section anhistorique. Juger la terminologie de Jean-Paul II et de la situation en Eden à partir d'éléments purement historiques est illusoire. Il faut rejoindre la tradition des 4 sens de l'Ecriture.
Parler de « solitude originelle » (cf. l'article critique dans le journal La Croix) c'est montrer que tout homme est unique à ses propres yeux, aux yeux des autres et aux yeux de Dieu. Jean-Paul II parle de l'auto conscience originelle, en disant qu'elle est la radicale prise de conscience par l'homme (Adam = le terreux) de sa différence d'avec les animaux. L'homme est structurellement en relation car cette solitude n'est pas isolement : elle est le lieu d'une affirmation de son être créé, en relation avec le cosmos et avec Dieu. En nommant les animaux, tout être humain est saisi par cette différence. Cette solitude est aussi affirmation d'une relation fondatrice. Tout être humain est d'abord en relation avec le Créateur et cette relation structure toutes les autres relations avec les créatures. La relation homme-femme n'est pas « première ». L'être humain est le terreux que Dieu sculpte (le potier) et anime : « il souffle dans ses narines ». Tout « Adam » est en lien immédiat avec son créateur. C'est un trait commun à tout être humain : trait qui appartient à son humanité et qui le rend semblable et égal à tout autre être humain.
Quand l'auteur se plaint de l'ambiguïté de cette « solitude originelle », il réduit la vérité du texte car cette solitude, dit Jean-Paul II, est solitude-communion, ou en attente d'une relation « qui lui soit égale ». La critique d'ailleurs ne montre pas bien la relation fondatrice et première de l'être humain avec le Créateur. Cela rejaillit sur toute autre relation humaine avec les autres et avec le monde. Ainsi il déforme le sens de l'apparition de la différence sexuelle dans l'humanité. L'étude de l'hébreu atteste l'importance de la distinction entre l'Adam (terme générique qui désigne ce qui est humain) et l'ish et l'isha (termes qui spécifient la réalité sexuée de l'être humain). La relation entre l'homme et la femme surgit, dans un deuxième temps du récit, de la relation de chaque être humain avec le Créateur. C'est une autre réaffirmation de l'égale dignité entre le masculin et le féminin qui sont distingués et offerts l'un à l'autre par Dieu.
Dans le premier récit, la création de l'homme est saisie dans l'affirmation unique qui sort de la bouche de Dieu (elle est performatrice : « quand dire, c'est faire ») : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Homme et femme il les fit ». Dans le second récit, l'image est plus existentielle et donnée par étapes. L'humanité semble exister avant sa différentiation sexuelle pour dire sa différence d'avec les animaux. Mais le Créateur veut offrir une relation entre les êtres humains qui soit dans l'altérité une « vraie aide qui soit assortie » au sujet humain. Le Créateur, présenté par anthropomorphisme, se rend compte de cette « solitude » et pense à peaufiner l'ordre de la création.
Dieu agit : c'est lui qui crée. L'Adam est plongé dans une torpeur signe d'une présence divine. Il dort. Il est passif. Il n'agit pas. Ce n'est pas Adam qui crée la différence sexuelle. Si Dieu tire de l'humain une côte, c'est pour faciliter notre compréhension que le fruit de son action (distinction de l'homme et de la femme) est bien d'une égale dignité. Le mot « côté » (autre traduction) dit également la proximité de ceux qui se reconnaîtront différents, unis et égaux dans l'action divine. Ils sont du même rivage (autre traduction de la côte) : ils sont proches dans leurs différences corporelles et sexuelles. L'altérité humaine, dans sa différence sexuelle, apparaît comme l'œuvre divine et dit l'égale dignité des corps des êtres humains. Quand le masculin s'éveille masculin, la femme est déjà femme : ish et isha sortent de la main du même Dieu et Créateur.
Et la première parole humaine livrée par la Bible est celle de ish qui reconnaît isha comme un cadeau de Dieu : « Voici cette fois l'os de mes os et la chair de ma chair ». Cette affirmation n'est certes pas la source ontologique ni historique d'un régime patriarcal. Cette affirmation est absurde ! Cette phrase affirme plutôt l'égale dignité de l'homme et de la femme et la pleine reconnaissance de cette différence. Si le masculin parle, ce n'est pas pour dire sa suprématie sur le féminin, mais au contraire pour entrer dans une louange référée au même Créateur. Les premières paroles de la Bible, fondatrices de toute relation humaine, sont des paroles de louange, d'émerveillement, d'action de grâce. On ne peut pas tirer de ce premier épisode une justification d'un système social (polygamies, patriarcat et matriarcat). La réflexion qui procède ainsi juxtapose une observation sociale ou historique (souvent marquée par le péché à une époque) à une vérité divine sur l'œuvre créatrice de Dieu.