La Parole de Dieu dans les Exercices
« Moi, je suis l'Eternel ; il n'y en a pas d'autre. Je n'ai pas parlé en secret ni dans un lieu caché, car aux descendants de Jacob, je n'ai pas dit : « Cherchez-moi dans le vide ». Moi, je suis l'Eternel, je dis ce qui est juste, je proclame ce qui est droit » (Isaïe 45, 18 et 19). Cette parole du prophète est d'application dans les méditations et contemplations des Exercices spirituels. Elle mène d'ailleurs au Dieu vivant, à la connaissance de son être et de sa vie. Durant les 4 semaines (ou les 8 jours), dans la répétition et la longueur des oraisons, nous sommes invités à écouter le Seigneur, à trouver sa volonté avec le plus de précision possible, à faire nôtre l'union aux mystères du Christ, à changer de vie. Cette démarche passe par diverses formes de prière : par des méditations dont la texture est issue de la vie spirituelle d'Ignace et de son expérience (le Règne, les deux Etendards…) et par des méditations dont la texture est issue de la Bible (Ancien et Nouveau Testament). On pourrait presque comparer les méditations ignaciennes à des textes et des formulations de la Tradition, et les autres méditations à la cristallisation dans des paroles scripturaires inspirées de la Tradition judéo-chrétienne. L'unité de l'Ecriture et de la Tradition existe dans le texte d'Ignace.
Le langage biblique, comme le langage humain, a le plus souvent plusieurs significations qui se donnent en résonnance et sans contradictions frontales (ex. : Vends tous tes biens, ce que tu possèdes » ; ou bien l'eau vive dans la rencontre avec la samaritaine ; ou bien « voici l'agneau de Dieu »). Les mots ont une richesse par eux-mêmes, mais aussi dans le cœur de ceux et celles qui les prononcent. Dans le cas de la Bible, il est bon pour la prière de s'attacher au sens le plus évident de la phrase et des mots, en connaissant le contexte : les épisodes qui ont précédé ou suivi tel récit ou telle affirmation, les personnes qui parlent en leur nom ou au nom de Dieu, la personne qui parle dans le récit, le genre littéraire du passage. Ce qui aide la prière, c'est bien de « ruminer » ce sens littéral du texte. On évite ainsi les « rêveries, les images inventées ou qui font illusion, les contes de science-fiction »).
Ce sens littéral est normalement simple et complexe : il s'entend et se dit à travers les facultés humaines (intelligence, mémoire, volonté : c'est d'ailleurs le propre de la prière mentale par rapport à la prière vocale, surtout depuis les XVIè siècle)) sans entrer dans de grandes études (les notes de la Bible peuvent éclaircir un point litigieux ou l'autre). Ce sens est aussi comme gonflé d'un « sève spirituelle » dans la littéralité de la phrase. L'Esprit habite à sa manière ces textes inspirés et Il nous mène de manière raisonnable au-delà de notre propre compréhension. Sans être fondamentaliste, le sens littéral est déjà « plein » de l'Esprit et il nous aide à prier : écouter Dieu et lui parler. « Parle Seigneur, ton serviteur écoute » dit Samuel à Dieu qu'il ne connaît pas encore et qui s'adresse à lui.
Mais ce sens littéral comprend, selon les Pères de l'Eglise, d'autres sens spirituels distincts et riches du mystère divin : le sens allégorique, le sens tropologique, le sens anagogique. Les mots et les phrases sur lesquelles nous prions renvoient plus profond que la matérialité des lettres. Déjà l'usage des symboles ouvre les portes du mystère : « je suis le bon berger » ; « je suis la porte des brebis » ; « voici l'agneau de Dieu », « l'eau et le sang du côté de Jésus en croix ». Mais le langage biblique est aussi affirmation de l'identité de Dieu, révélation de ses traits et des désirs du Créateur et du Sauveur. Une vérité est transmise : elle n'est pas une idée fixe ou un concept rigide. Cette vérité est toujours personnelle, mais elle nous dit « qui est Dieu » et fait grandir les vertus théologales en nous pendant que nous prions. Ce sens allégorique s'unifie dans le sens tropologique ou moral. Car connaître Dieu, c'est faire sa volonté : c'est agir ! Louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, dit le Principe et Fondement : trois verbes de l'action humaine.
Le récit de la tromperie du serpent, le péché de David, la conversion de Zachée, nous disent, sous divers modes combien nous sommes appelés à faire le bien et à éviter le mal. La parole de Dieu interpelle la conscience. Elle révèle le péché dans le monde et dans nos cœurs. Cette révélation est libération : elle ouvre un avenir. Le don des commandements n'est pas un règlement sociétal nouveau : il dit à un peuple libéré de l'esclavage comment rester libre en observant ces dix paroles. Le sens anagogique nous met de plein pied en communion avec l'ordre du salut et le ciel promis. Il nous conduit vers la réalité des sacrements. La promesse s'accomplit dans la prière et nous sommes mis en connivence avec un ordre nouveau : l'économie sacramentelle en témoigne. Elle dit le salut à l'œuvre en cet âge qui est le nôtre. Ainsi nous sommes enseignés dans la mort du Christ par l'eau et le sang qui coulent de son côté ou bien nous percevons lors de ses apparitions le don de l'Esprit qui change les cœurs et qui pardonnent tous les péchés des hommes par le service et l'autorité des apôtres.
La parole de Dieu est une richesse de l'oraison durant les Exercices. Elle passe par le creuset de nos facultés. Elle se déploie dans toutes les directions du cœur. Elle soutient la connaissance intime du Christ pour mieux le suivre et l'aimer. Cette parole a un statut particulier : non seulement elle est inspirée, mais elle est inspirante. Non seulement, elle est compréhensible, mais elle nous place dans le mystère, non seulement elle passe par notre réalité personnelle, mais elle la change. Elle est performative. Elle est agissante. Elle est un signe particulier et incontournable de la présence divine dans notre silence, dans notre prière, dans notre propre identité personnelle.