L'exhortation Amoris Laetitia a suscité de nombreux commentaires en sens divers. Beaucoup se sont attachés à l'ensemble du texte, d'autres au chapitre 8 car celui-ci présente des difficultés de compréhension et d'interprétation. Ce livre essaie d'ouvrir une voie nouvelle : non pas critiquer directement, ni se démarquer du Magistère ou évaluer les indications de contenu, mais mettre en lumière les présupposés implicites qui animent les orientations de ce chapitre controversé. L'auteur est un moine de l'abbaye bénédictine Madona della Scala (Noci). Il est docteur en théologie fondamentale de la Grégorienne (PUG) et professeur à l'Ateneo Sant 'Anselmo. Divers thèmes sont abordés : le conflit des interprétations, les interprétations d'AL confirmées par le pape, le rapport entre sacrement et éthique, la réduction du sacrement au fors interne, la loi naturelle ou l'alliance sacramentelle, l'implosion du symbole, les prospectives pastorales, l'examen des méthodes d'analyse.
Prenons une des thèses : la mise en évidence d'une déficience de la réflexion dans le primat accordé à la morale sur la sacramentaire. De fait, selon l'auteur, à force de lutter contre les morales de situation et d'obligation, la perspective de l'exhortation s'est affaiblie en ne prenant que l'angle moral pour discerner les situations des divorcés remariés. Cette morale du discernement ou du « cas par cas » présente une faiblesse originaire : le déracinement de la morale matrimoniale de son humus naturel qui est d'abord liturgico-sacramentel. Quelques citations peuvent, sans dénaturer sa pensée, mettre en relief l'argument. « Une éthique fondée sur le liturgico-sacramentel ne peut pas être réduite au seul fors interne ni à une éthique de la responsabilité subjective dans une évaluation entre normes et circonstances » (p.69). Dans le cas du sacrement de mariage, on ne peut pas faire abstraction du sacrement et de sa morale « spécifique ». En effet, « la logique sacramentelle du signe visible et objectif possède des exigences supplémentaires et plus amples, que l'on ne peut pas réduire à la situation intérieure du sujet et de la conscience quant au respect de la norme (respectée ou transgressée) ou à la grâce invisible (présente ou absente) » (p. 70). Les sacrements sont concernés par la visibilité de la grâce, et non par son invisibilité intérieure. Au fond, c'est le caractère spécifique du sacrement qui est ignoré par l'usage unique des critères moraux. Or ce niveau sacramentel est originaire et fondateur : c'est lui qui unifie les autres critères (extériorité-intériorité, sujet-objet etc…). L'aspect moral est insuffisant pour rendre compte de l'unité d'un geste sacramentel.
Une réflexion originale est aussi offerte sur le lien entre l'intrinsecum malum et l'ordre symbolique qui, par définition, est mis en acte dans tout sacrement (p.111). Elle confirme l'importance pour l'auteur d'une morale spécifique à l'économie sacramentelle. Nier la possibilité d'existence de l'intrinsecum malum, c'est affaiblir la force unificatrice du symbole et délier le lien classique entre la res et le sacramentum. L'exhortation met en évidence deux modèles de pensée difficiles à unifier : l'un centré sur le sujet qui s'auto explique et qui est pauvre en extériorité, et l'autre dans lequel l'être-agir est un processus de symbolisation qui unifie intérieur-extérieur, sujet-objet etc… (p.118). L'auteur conclut ces réflexions par plusieurs observations (p.134) qui donnent à penser et situent les débats actuels dans l'histoire de la théologie.
Ce livre n'est pas polémique : il éveille à la réflexion théologique et montre la complexité des diverses problématiques du chapitre 8 d'Amoris laetitia. La compréhension de certains débats passe souvent par un approfondissement lent mais profond de la Révélation de Dieu dans l'histoire.
Alain Mattheeuws s.J.