Les fondements de l'économie sacramentelle
Le sacrement du mariage est l'un des sept sacrements . Il est un sacrement « pas comme les autres » comme le soulignait L.-M. Chauvet . Il se greffe de manière tout à fait particulière sur et dans une réalité prégnante. Il a une densité anthropologique singulière Il est très humain puisqu'il assume très directement la réalité de l'homme et de la femme dans ses composantes les plus concrètes, depuis le biologique jusqu'aux oeuvres de l'esprit. Il est très incarné.
Il convient cependant de ne pas l'isoler de l'ensemble des autres sacrements qui sont des signes particuliers de la présence et de l'action du Ressuscité parmi nous. Avec le Concile Vatican II, il est bon aussi de voir combien les sacrements particuliers s'inscrivent dans la sacramentalité de l'histoire du salut. Ce sera aussi une manière de mieux comprendre la réalité de l'économie sacramentelle, composée du septénaire, mais structure de l'Eglise elle-même.
1.1. Le Christ, premier sacrement
C'est le Christ qui est le premier sacrement, le visage du « Bien-Aimé », le don du Père. Le “don du Christ l'emporte sur les anciens dons qui ne sont que des « figures » du vrai don qu'est le Fils. L'univers de l'Envoyé est un « univers de don ». Sa présence inaugure une ère « nouvelle ». L'économie sacramentelle prend sa source en Lui : dans ses paroles, ses faits et gestes depuis son incarnation jusqu'à sa glorification. Le Christ « fait signe » à travers ce qu'Il est. Sa présence dans notre histoire n'est pas que « figurative » : elle est « représentative ». Il est la source de toute grâce : ce que l'évangéliste Jean et les Pères nous enseignent lorsqu'ils nous présentent le cœur transpercé d'où jaillit l'eau et le sang, les sacrements de la vie. « De son sein, il sortit du sang et de l'eau » (Jn 19, 34). Les sacrements sont des actes du Christ ressuscité, aujourd'hui, dans son Église. Ils ne sont pas que des « rites ». Ils sont des actes personnels liés à la personne du Seigneur qui se donne à son Église et à tous les hommes. Ils ont une « efficacité » liée à la puissance de Dieu qui est entré dans l'histoire humaine. Les faits et gestes ainsi que les paroles du Christ acquièrent un statut particulier à travers la volonté de Dieu de « se faire homme ». L'Incarnation du Christ est l'union de Dieu à toute humanité. Les « mystères de sa vie » nous font entrer dans l'amour trinitaire. Jésus est le « don » par excellence, livré aux hommes « pour le salut du monde ». Tout don et toute manière de se donner prennent leur origine, leur signification et leur finalité en Lui.
1.2. L'Eglise-Sacrement
Dans cette livraison du Christ, l'accueil de l'Église est essentiel. L'Église dit « oui » au don du Fils. Pour que ce don s'accomplisse, il faut qu'Il trouve un « oui » à sa mesure. Marie, figure de l'Église, est, par excellence, celle qui a dit « oui ». À travers cette réponse libre d'une fille d'Israël, nous pressentons combien l'accueil engage ici notre responsabilité. Si Dieu est premier et devance toujours nos élans, il ne peut être que choisi activement et librement. Cet accueil est empreint à la fois d'une passivité et d'une activité qui rejoignent l'homme à la racine de son être. L'Église symbolise le mystère de l'Épouse qui dit « oui ». Pour révéler l'amour et en vivre, il faut donc une communauté. L'Église est le signe privilégié de l'accueil du don de l'amour. Les dimensions de l'univers sacramentel sont d'emblée christiques et mariales. Le Christ se donne et est accueilli dans l'histoire humaine. En disant «oui», l'Église est «dans le Christ, en quelque sorte, le sacrement, c'est-à-dire le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain» (LG 1).
Corps du Christ, Peuple de Dieu, Temple de l'esprit, Épouse du Christ, les images sont variées pour définir les traits de l'Église. Nous privilégions ici celle de l'Église-Épouse. Comme Épouse, l'Église consent à l'amour de son Époux. Elle consent à être vivifiée, purifiée et guidée par Lui. Cette structure sponsale de l'Église est fondamentale pour comprendre le sacrement de mariage. Comme Épouse, l'Église s'ouvre à l'action de son Époux. Elle appelle d'ailleurs cette action par sa prière. Elle laisse faire l'Époux à sa guise et Lui fait une confiance totale.
Cet abandon de l'Église à son Époux rythme toutes les liturgies sacramentelles. L'Église est sacrement et elle vit aussi des sept sacrements. Chaque mariage la construit. De plus le rythme sacramentaire est sponsal et marial et nous nous inscrivons en lui. Dans le «oui» de l'Église, tous nos «oui» de baptisés sont inscrits et portent leur fruit. Car aucun sacrement n'agit automatiquement. Il nous faut librement dire « oui » au don du ciel, à la grâce offerte. Tout sacrement est intersubjectif (et le mariage de manière particulière !), mais cette intersubjectivité est plus profonde qu'il n'y paraît. Elle touche en profondeur ceux et celles qui reçoivent le sacrement. Elle concerne aussi la relation personnelle de chacun avec le Christ et son Église. En soulignant donc la structure nuptiale du sacrement, nous évoquons non seulement l'alliance humaine, mais l'alliance spirituelle entre le Christ et son Église. Il y a une affinité entre l'amour des époux et celui du Christ pour son Église. L'enjeu du sacrement dépasse la singularité du couple en présence. Il concerne toute l'Église.
1.3. L'Esprit
Si Jésus est le Don du Père accueilli avec amour par l'Eglise son Epouse, sainte et immaculée, l'Esprit Saint est le milieu « matriciel » dans lequel et par lequel s'effectue ce don et cet accueil du don. L'actualité de la structure nuptiale du sacrement n'est accessible que dans l'Esprit-Saint. « Comme sacrement, l'Église se développe à partir du mystère pascal du « départ » du Christ, en vivant sa « venue » toujours nouvelle par l'Esprit Saint qui accomplit sa mission même de Paraclet, Esprit de vérité » (Dominum et Vivificantem n°63) ». L'Esprit confirme l'élan d'amour de l'Église vers son Époux. Il permet à cet amour de se renouveler et de trouver dans l'histoire une jeunesse éternelle. C'est avec l'Esprit que l'Église attend le retour de l'Époux. Grâce à l'Esprit, l'amour entre l'Épouse et l'Époux ne s'épuise pas et ne meurt pas dans l'histoire humaine. Au contraire, il s'y enracine et s'y développe jusqu'au retour glorieux du Fils. L'Esprit est présent intimement au don parce qu'il est lui-même Don incréé, personnel. Il est donné comme Don à l'Eglise par le Christ et Lui-même la comble de ses dons et charismes ainsi que par sa présence au plus intime de nos actes, dans le visible et l'invisible. Ce don est la « loi nouvelle » de l'existence des époux, le fondement et la force de la vie morale du couple et de la famille. L'Esprit est celui qui donne la vie, Celui par qui Dieu se communique encore et toujours aux hommes et qui les rend contemporains du Christ. L'Esprit est à l'origine (« l'Esprit de Dieu planait sur les eaux » Gn 1,2), il est l'Esprit de Jésus depuis sa conception jusqu'à sa résurrection et son ascension à la droite du Père, il est la Promesse de Jésus qui s'accomplit en son Eglise dès la Pentecôte. L'Esprit confirme tout amour.
On le voit : l'économie sacramentelle est un ordre particulier de la grâce, de l'action de Dieu dans l'histoire par son Eglise. Elle n'épuise pas bien sûr les « trésors » de Dieu et sa manière d'agir dans les cœurs et dans le monde. Elle a cependant sa spécificité. Parler du sacrement de mariage dans cet horizon, c'est marquer combien cette pratique est déterminante non seulement pour les personnes qui en vivent, mais également pour l'Eglise. Le mariage est un sacrement « primordial » car il est dès l'origine, même si c'est par la Pâque du Christ que nous en goûtons la saveur (le baptême). Il est « primordial » également parce qu'il est un signe majeur où l'Eglise se dit et se fait.