Le respect de la foi chrétienne pour les débuts de la vie humaine
Dans l'aventure de tout être humain, il y a des moments différents : la conception et la naissance, la souffrance et la mort représentent des temps de questions et de réflexions profondes. Le début et la fin de la vie humaine sont parfois comme des « trous noirs » de significations. Soit ils restent des énigmes, des questions sans réponses valides, soit ils peuvent être perçus comme des mystères, c.-à-d. des moments riches d'un sens déterminant, qui nous dépasse et auquel néanmoins nous pouvons participer par la raison et le cœur. Ils pourraient bien être dans l'existence humaine des « puits de lumière ». Personne d'entre nous n'a demandé de venir à l'existence et nous n'y sommes pour rien . C'est un acte où nous devons avouer notre ignorance : notre non-connaissance. Mais paradoxalement nous pouvons participer et être responsables de la conception d'un autre que nous-mêmes. Un événement ne pourrait-il pas éclairer l'autre ? Par ailleurs, en considérant l'autre bout de la vie, il existe dans nos cœurs comme un vœu d'immortalité et d'une vie éternelle. Pourtant le vieillissement, la maladie et la mort nous rappellent notre déclin et nous disent que la vie sur la terre a une fin. Notre cœur et notre vie sont ainsi traversées de paradoxes : pas seulement des absurdités.
Réfléchir sur ces deux moments de la vie est important puisqu'ils déterminent le sens de notre existence ordinaire sur la terre. Les sages de diverses religions ne s'éloignent pas de ces questions. Les progrès de la science nous y poussent aussi car de nouvelles pratiques apparaissent et demandent un discernement. Pour la foi chrétienne, enracinée dans le mystère de l'Incarnation, ces nouveaux défis appellent un langage nouveau qui ne soit pas que scientifique et des prises de position pour l'agir humain.
Deux documents issus de nombreuses recherches et dialogues au sein de l'Eglise nous permettent de jeter une lumière nouvelle sur ce qu'est la vie, particulièrement en ces débuts. Ces deux livrets ne sont pas énormes à lire : ils sont denses et précis pour certains points. Nous parlons de Donum vitae (1987) et de Dignitas personae (2009). Nous allons en rendre compte et nous en inspirer.
1. Donum vitae : le rappel du respect et de la dignité de l'embryon humain
Ce document est une instruction centrée sur le respect de la vie humaine et la dignité de la procréation. Il s'attache à répondre à des questions d'actualité : il donne donc son avis sur plusieurs pratiques qui commençaient à se répandre concernant l'embryon humain et la conception d'un nouvel être humain (en 1987). La forme littéraire du document est différente d'une encyclique : c'est un question-réponse. Dans chaque réponse il y a une argumentation appropriée. On pourrait l'enrichir avec le temps. Mais le fil rouge vise le respect des embryons humains et un mode d'agir avec eux. Et la réflexion est marquée par des fondamentaux qui nous permettent de réfléchir nous-mêmes devant toute nouvelle question d'aujourd'hui encore.
1.1. Les fondamentaux anthropologiques
L'unité substantielle de l'être humain
L'être humain est le plus souvent appelé une « personne ». Quand on utilise ce vocabulaire, on comprend implicitement que la personne humaine n'est pas qu'un puzzle (un assemblage de pièces de lego) mais une « totalité unifiée ». Cette totalité inclut le corps et la sexualité. Le corps humain manifeste l'être personnel : il est un « langage ». Mais le sens exact des actes personnels ne peut pas être découvert en dehors de cette unité. Des « mots corporels » détachés de la personne qui les dit n'ont pas de sens. Dans cette cohérence « l'enfant est le fruit de l'amour de ses parents » (IN 4) et il apparaît que, dans l'échange d'amour des époux, leurs mots corporels comportent des significations à la fois « sponsales et parentales ». L'acte conjugal n'est pas seulement une bonne technique de plaisir ou de procréation.
Naissance de la personne comme un pur don
L'avènement à l'existence du « petit » de l'homme montre qu'il n'y est pour rien. Il est vulnérable à l'origine. Il y a un temps dans la vie d'un homme où la personne n'existe que par autrui : elle dépend entièrement d'autrui. Elle est donnée aux autres : elle peut être refusée ; elle peut être accueillie. La définition de la vie humaine nouvellement conçue est d'être « don ». Méconnaître cette réalité, c'est méconnaître ce qu'elle a de plus profond. Ainsi ne pas considérer une personne comme un don, c'est la blesser et se rendre soi-même aveugle à ce qu'elle est fondamentalement. Reconnaître une personne comme personne ne dépend pas d'un seul type de science qui nous donne des repères, mais d'un acte interpersonnel d'interprétation qui est aussi un acte d'amour.
L'union conjugale
L'enfant surgit normalement du don mutuel des époux. L'acte conjugal est un acte de donation réciproque. Ainsi le langage corporel dit le « don » que les époux veulent se faire d'eux-mêmes. La sexualité dans ce cas exprime la liberté qui se donne de manière définitive et unique. D'ailleurs un acte conjugal n'est pas un autre : ils ne sont pas interchangeables, même à l'intérieur d'un même couple ! Dans cet acte se trouve inscrite l'éventualité biologique d'un don nouveau qui les dépasse tous les deux. Le berceau anthropologique de tout être humain est un acte d'amour dans la chair des époux. Cette signification est toujours présente dans l'union conjugale. Elle n'est pas réduite seulement à son aspect biologique (pensons à la ménopause).
L'union conjugale et la création
L'union entre un homme et une femme est un acte particulier qui n'est pas que l'aboutissement d'une pulsion ou d'un jeu hormonal. Cet acte est bon et beau : il reflète la bonté du Créateur. Quand un artiste compose, on considère parfois qu'il est inspiré, comme dépassé par ce qu'il crée. L'acte sexuel peut présenter aussi cette caractéristique de placer l'homme et la femme « hors d'eux-mêmes ». Tous les actes humains, bons, liés à la liberté, unissent l'homme à Dieu : ils établissent une communion entre l'homme et son créateur. Dans l'union conjugale, l'unité des époux avec Dieu apparaît décisive car les époux ne créent pas l'enfant conçu : ils collaborent à l'acte unique de Dieu qui crée pour toujours un nouvel être humain.
Les actes des époux sont en consonance avec ceux de Dieu. Tout être humain, créé par Dieu, est « voulu pour lui-même » : c'est de cet acte de Dieu que surgit son absolue dignité. Les époux disposent les conditions pour que l'acte créateur de Dieu puisse se réaliser. Ainsi l'acte conjugal, posé dans l'écrin du mariage, est-il particulièrement un lieu de communion avec le Seigneur, Dieu de l'univers. La conception d'un enfant est digne de respect parce qu'elle réunit les conditions pour qu'un acte créateur divin puisse surgir. D'un point de vue chrétien, il serait étonnant que Dieu qui connaît à la fois l'infiniment petit et l'infiniment grand, ne soit pas présent aux origines de l'être humain, même unicellulaire.
L'importance des actes de l'homme
L'éthique concerne particulièrement tout homme, surtout s'il est conscient qu'il doit agir. Il ne s'agit pas de correspondre à des lois, surtout lorsqu'elles n'existent pas dans des domaines nouveaux. Faire le bien, c'est un appel et toutes les situations humaines nous permettent de faire un bien possible ou le bien désiré. Toutes les activités humaines appartiennent à l'ordre éthique : l'activité scientifique n'est pas neutre ; elle entre dans le champ moral. Et les modalités de l'agir ne se réduisent pas à la « bonne intention » car l'homme ne crée pas le sens de manière absolue. Ce qui est techniquement possible, n'est pas non plus nécessairement admissible. Il appartient à l'homme de discerner : par son intelligence, dans le dialogue, par sa confiance dans un réel qu'il n'invente pas mais qu'il reçoit comme créé par Dieu.
On peut découvrir ce que sont le Bien moral et son originalité. L'homme est capable de le faire par sa raison qui est, pour nous, illuminée par la foi. Ainsi les normes morales ne sont pas le fondement de l'acte moral, mais elles ne sont pas que le fruit du hasard, de la culture, de la coutume, de l'époque et de son contexte de découvertes. Elles ne sont pas purement subjectives. Elles disent quelque chose de ce qu'est l'homme et tout homme : elles sont une pédagogie vers la réalisation concrète du bien dans des situations complexes et nouvelles.
1.2. Comment respecter les embryons humains ?
Dans cette partie, l'instruction répond à 6 questions. Reprenons quelques points de manière succincte.
1.2.1. Quel respect doit-on à l'embryon humain, compte tenu de sa nature et de son identité ?
L'être humain doit être respecté – comme une personne – dès le premier instant de son existence. L'embryon humain a un statut protégé. Nous verrons ce que signifie son mystère et son identité.
On peut l'exprimer ainsi avec le Concile Vatican II : « La vie, une fois conçue, doit être protégée avec le plus grand soin » . Cette affirmation est une position de prudence surtout pour ceux qui doutent du statut personnel de l'embryon. Mais le document saisit deux arguments pour nous signaler l'importance de ce statut :
= un scientifique : « dès que l'ovule est fécondé, se trouve inaugurée une vie qui n'est ni celle du père ni celle de la mère, mais d'un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain, s'il ne l'est pas dès lors » (DV I).
= philosophique : les observations expérimentales fournissent « une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d'une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? » (DV I).
Le « comme une personne » en français n'est pas une affirmation exacte du statut personnel de l'embryon. Il indique « le respect inconditionnel moralement dû à l'être humain dans sa totalité corporelle et spirituelle ». On attribue au zygote les droits de la personne : l'intégrité corporelle. De fait il contient « l'identité biologique d'un nouvel être humain » (si pas deux !). Il convient de le traiter comme un patient.
1.2.3. Le diagnostic prénatal
En soit, cet acte médical peut être bon. S'il « respecte la vie et l'intégrité de l'embryon et du fœtus humain, et s'il est orienté à sa sauvegarde ou à sa guérison » (I,2), il est bon de poser cet acte, par exemple une échographie. Il s'agit donc, comme à l'abord de tout traitement délicat et suivant une saine déontologie médicale, d'évaluer les risques et de n'envisager le diagnostic prénatal qu'avec le « consentement des parents convenablement informés » » (I,2).
Bien sûr si le diagnostic vise un contrôle de la qualité du « produit », de sa perfection et inclut, au moins dans l'intention, l'idée d'un avortement, on en déduit qu'il n'est pas juste de le faire. C'est souvent le cas pour les enfants trisomiques. L'intentionnalité peut donc changer la nature morale de l'acte posé.
1.2.4. Les interventions thérapeutiques sur l'embryon humain
Avec les progrès de la science, elles peuvent être d'un grand secours. Le critère de ces interventions est le même que pour tout patient : « on doit considérer comme licites les interventions sur l'embryon humain, à condition qu'elles respectent la vie et l'intégrité de l'embryon et qu'elles ne comportent pas pour lui de risques disproportionnés, mais qu'elles visent à sa guérison, à l'amélioration de ses conditions de santé ou à sa survie individuelle » (I.3). Bien sûr on observera aussi les points habituels de déontologie : par exemple, avoir l'accord éclairé des parents.
1.2.5. La recherche et l'expérimentation sur les embryons et les fœtus humains
Le texte aborde ensuite la double question de la « recherche » et de « l'expérimentation ». La recherche médicale (qui vise à promouvoir « l'observation systématique d'un phénomène donné dans le champ humain ou à vérifier une hypothèse découlant de précédentes observations » DV I,4 note 28) doit « s'abstenir d'interventions sur les embryons vivants, à moins qu'il n'y ait certitude morale de ne causer de dommage ni à la vie ni à l'intégrité de l'enfant à naître et de sa mère, et à condition que les parents aient donné pour l'intervention sur l'embryon leur consentement libre et informé (I, 4) ». Nous retrouvons ici également le même souci de respecter à la fois l'embryon humain et ceux (les plus proches) qui en ont la douce et claire responsabilité.
L'expérimentation comprend toute recherche dans laquelle l'être humain représente l'objet grâce auquel et sur lequel on entend vérifier l'effet d'un traitement donné. Ce type d'expérimentation « non directement thérapeutique sur les embryons est illicite » (I, 4, note 28).
S'ils sont encore vivants, viables ou non, ils doivent être respectés comme toutes les personnes humaines. Dans ce domaine, les parents, même dûment informés, « ne peuvent pas disposer ni de l'intégrité physique ni de la vie de l'enfant à naître » (I, 4). Les parents n'ont pas un droit absolu sur le corps de l'embryon humain. La « Charte des Droits de la Famille », publiée en 1983, déclarait déjà : « Le respect pour la dignité de l'être humain exclut toute espèce de manipulation expérimentale ou exploitation de l'embryon humain ». Par cette affirmation, la pratique de « maintenir en vie des embryons humains, in vivo ou in vitro, à des fins expérimentales ou commerciales » est considérée comme « absolument contraire à la dignité humaine » (I, 4). Dans un cas précis (PMA), personne n'a le droit de congeler des embryons, même si l'intention semble positive. Quant à l'expérimentation clairement thérapeutique, elle peut être considérée comme licite à condition de respecter la déontologie médicale.
1.2.6. L'usage, à des fins de recherche, des embryons obtenus par la fécondation in vitro
Considérant que « les cadavres d'embryons ou fœtus humains, volontairement avortés ou non, doivent être respectés comme les dépouilles des autres êtres humains », le document exige le « constat » de leur mort avant toute « mutilation ou autopsie ». L'accord des parents est également demandé. Il s'agit d'exclure spécialement toute pratique commerciale et toute complicité avec l'avortement volontaire.
Cette partie du document est très précise dans la considération des divers cas. La complexité des situations ne laisse pas a quia l'intelligence humaine car il est toujours possible à l'homme de faire le bien et aussi de former sa conscience. Quelle que soit la méthode utilisée, les embryons humains sont des « êtres humains et des sujets de droits » (I, 5). Il sera donc « immoral de produire des embryons humains destinés à être exploités comme un matériau biologique, disponible ». De même, « il faut dénoncer la particulière gravité de la destruction volontaire des embryons humains obtenus « in vitro » par fécondation artificielle ou « fission gémellaire » à de seules fins de recherche » (I, 5). Le texte met en exergue le « sort absurde » des « embryons surnuméraires » qui ne « peuvent être purement et simplement réduits à (leur) valeur d'usage au bénéfice d'autrui ». Finalement, des critères à la fois actuels et prospectifs sont offerts à la conscience morale pour juger « d'autres procédés de manipulations des embryons liés aux techniques de la reproduction humaine » (I, 6). Il s'agit avant tout de respecter la dignité d'être humain qui appartient à l'embryon, et en même temps, de ne pas léser « le droit de toute personne à être conçue et à naître dans le mariage et du mariage » (I, 6).
La liste de ces manipulations est longue : elle n'est pas exhaustive. Fécondation de gamètes humains et animaux, gestation d'embryons humains dans des utérus animaux ; construction d'utérus artificiels. De même, les tentatives ou les hypothèses faites pour obtenir un être humain sans aucune connexion avec la sexualité, par « fission gémellaire », clonage, parthénogenèse, sont à considérer comme contraires à la morale, car elles sont en opposition avec la dignité « tant de la procréation humaine que de l'union conjugale » (I, 6). Dans le même ordre d'idée, le texte stigmatise aussi « la congélation d'embryons » et certaines tentatives d'intervention sur le patrimoine chromosomique ou génétique. « Ces manipulations sont contraires à la dignité personnelle de l'être humain, à son intégrité et à son identité » (I, 6).
En conclusion, l'embryon humain doit être protégé dès les premiers instants de son existence. Il est apparenté à un sujet de droit. Il doit être respecté comme une personne. L'enjeu de la vie humaine dans son respect inconditionnel apparaît dès qu'apparaît le nouvel être conçu.
2. Dignitas personae : une nouveauté ?
La question de l'origine de l'être humain n'est pas abstraite : elle concerne tous les êtres vivants et traverse toutes les problématiques de la bioéthique. De fac to, elle est aussi notre question puisque nous tous été « petits », « vulnérables », « embryonnaires » à un moment donné de notre vie. Donum vitae nous indiquait déjà combien la personne est à la fois corporelle et spirituelle. De plus l'âme spirituelle de tout homme est « immédiatement créée » par Dieu : « tout son être porte l'image du Créateur » (DV Int n°5). Ainsi dans le corps et par le corps, on touche la personne humaine dans sa réalité concrète. Il existe une « vraie » relation entre ce qu'est l'embryon humain et son corps. Donum vitae nous invitait au respect inconditionnel. Dignitas personae se sert de ce point de départ comme d'un tremplin pour ouvrir plus profondément la réflexion sur le statut de l'être humain. Dans ce contexte l'apparition d'une notion nouvelle attire l'attention : DP parle du « corps embryonnaire » (n°4).
2.1. Une évolution ?
Dans le contexte des « cellules souches » embryonnaires et du clonage, l'apparition de l'expression « corps embryonnaire » (hapax ) est soit insignifiante soit une lumière nouvelle et prudente pour définir le statut personnel de l'embryon humain nouvellement conçu. Car une personne ne peut pas exister « sans son corps ». Le mot « corps » nous met sur la piste d'un type de réflexion classique : qui dit « corps », indique la place d'une âme, d'un esprit, d'un individu à traits personnels. On est passé petit à petit d'une description ou définition du produit de la conception comme embryon et ensuite embryon humain, à celui de « corps embryonnaire ». Le mot « embryon » qui est un terme technique devient un adjectif pour définir « celui qui est nouvellement conçu ». Avant d'être défini et observé scientifiquement, il est présenté comme appartenant à l'humanité de tout être humain.
Le corps humain a de multiples visages. S'il est bien un vivant, il est un « vivant » en relation dès sa conception avec d'autres vivants. Il est un corps avec des traits précis, et même un corps à l'intérieur d'un corps maternel. Il est vulnérable, mais marqué d'un dynamisme qui dépasse les rythmes biologiques. N'est-il pas unique, non interchangeable ? La liberté naît dans un corps : elle est charnelle avant que d'être conceptuelle. Le corps pose la question de ce qui l'anime, de son unité. Chacun de nous a un corps et en même temps est son corps, car personne ne peut se trouver ni s'habiter sans son corps. Le corps embryonnaire désigne un ensemble de « significations » : il dit au moins une ouverture, un type de présence à soi (?) et aux autres. Il est en relation avec le corps de sa mère !
La nouveauté réside dans cet usage prudent de « corps embryonnaire ». N'est-ce pas une manière de dépasser les limites d'un langage scientifique et de s'approcher du mystère personnel de l'embryon humain appelé (selon ses stades le plus souvent) : « le zygote, le pré-embryon, l'amas cellulaire, le grumeau, la morula, les cellules totipotentes ou multipotentes, le fœtus. L'expression « corps embryonnaire » (DP n°4) est plus prudente que celle d'« enfant embryonnaire », mais elle y mène.
Mais cet usage est à analyser également dans son contexte. Cette lecture ne fait que confirmer le poids de ce nouveau mot. Il est au centre à la fois d'une affirmation anthropologique et relié à une vérité scientifique : « Le corps d'un être humain, dès les premiers stades de son existence, n'est jamais réductible à l'ensemble de ses cellules. Ce corps embryonnaire se développe progressivement selon un « programme » bien défini et avec une finalité propre qui se manifeste à la naissance de chaque enfant » (DP n°4). Notons déjà qu'on ne parle pas de corps comme d'un corps physique en général, mais du corps en tant qu'il est un des « constitutifs de l'être humain » (DP n°7), c.à.d. en référence avec le mystère de l'unité « corps-âme », l'unité de la personne humaine. Nous sommes face à un langage plus ontologique. Le corps n'est pas une « chose », un « objet », une « apparence », mais il n'est pas non plus un absolu. Il nous faut à la fois affirmer que la personne ne se réduit pas aux apparences de son corps (à toutes les étapes de sa vie terrestre, c'est bien vrai), mais aussi que le corps est « plus » que la somme des cellules qui le structurent et lui donnent sa forme. Le corps est un « tout » organisé qui est intérieurement finalisé.
Soulignons par ailleurs combien ce « corps embryonnaire » est actif, même biologiquement : il « se » développe (forme pronominale) suivant un « programme » défini et avec une finalité propre (n°4). « Programme et finalité » ne disent pas uniquement une réalité seulement biologique (notre ADN par exemple). Ces mots sont qualifiés finalement par ce que « devient ce corps embryonnaire à la naissance » (DP n°4). Et ce document approfondit son raisonnement en unissant ce qui a été dit avant pour en arriver à affirmer : « « De fait, la réalité de l'être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d'affirmer ni un changement de nature ni une gradation de la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et éthique. L'embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne » (DP 5). Il semble ainsi que de manière prudente mais précise, DP nous fournisse les éléments pour conclure non seulement au respect de l'embryon (insistance sur « l'agir », comme dans DV) mais aussi à l'affirmation du caractère personnel (« l'être ») de l'être humain, visé dès l'abord par les termes « corps embryonnaire ». L'être humain est constitué d'un corps, d'un esprit, d'une âme : il est une unité « corps et âme ».
Ce lien et cette unité supposeraient encore des arguments plus philosophiques, mais DP passe à une présentation de foi sachant que la création au sens théologique affirme un « lien d'alliance » entre la créature et le Créateur. Dieu lui-même, en Jésus, a voulu assumer notre « chair ». Ce qui a été le « propre » du Verbe, l'homme par excellence, ne pourrait-il pas être le « propre de tout homme dès sa conception ?
DP explique : « Par le mystère de l'Incarnation, le Fils de Dieu a confirmé la dignité du corps et de l'âme, constitutifs de l'être humain. Le Christ n'a pas dédaigné le corps ; il en a pleinement révélé le sens et la valeur: « en réalité, le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné » » (DP n°7) .
En parlant de « corps embryonnaire » et du sens accompli que le Christ confère au corps humain par son Incarnation, DP nous indique de manière discrète un chemin pour discerner les traits personnels de l'embryon humain dès sa conception. Le « corps » nous dit quelque chose de la personne que nous peinons à voir, à discerner, à reconnaître au sens plénier du terme : réalité pourtant bien présente en ce « corps ». Car si nous pouvons devenir « fils de Dieu » (Jn 1, 12), « participants de la nature divine » (2 P 1, 4) (DP n°7), ce n'est pas en dehors du Corps du Fils, c.à.d. de son humanité de chair et de notre propre humanité.
L'essentiel des débats ne consiste donc pas à fixer un moment « biologique » mesurable, mais de révéler la profondeur de la symbolique corporelle de l'embryon. Ses traits « embryonnaires » peuvent déconcerter ou nous offrir la mesure humble et discrète de nos vies terrestres. Mais dès lors qu'il est un « corps embryonnaire », non seulement sa valeur inviolable d'homme (DP n°7) apparaît-elle clairement, mais également l'unité de son être : « Il a une vocation éternelle et est appelé à communier à l'amour trinitaire du Dieu vivant ». Elle rejoint cette affirmation de la prière du psalmiste : « Je n'étais qu'une ébauche et tes yeux m'ont vu » (Ps 139, 16) . Affirmation forte et étonnante d'une création pour l'éternité, dont le corps est l'aurore, l'annonce, le gage, la promesse sans pouvoir être séparé de ce qui l'atteste, l'affermit et le conditionne : la présence de l'âme.
2. En conclusion : « suis-je le gardien de mon frère » (Gn 4,9) ?
L'embryon nouvellement conçu a un corps : corps issu d'une rencontre des gamètes issus d'autres corps , corps enraciné dans un patrimoine génétique « qui vient de loin », corps « en voyage » dans les trompes ou fixé dans la paroi utérine, corps « confié » à un autre corps personnel dont il reçoit chaleur et nourriture, protection et oxygène.
Ce corps quitte petit à petit l'ombre pour venir à la lumière de la connaissance scientifique . Il devient « visible » par nous et maîtrisable par de nombreuses techniques, dont l'échographie. Le corps peut être extrait, produit, congelé ou réduit. Il peut être évalué et rejeté comme matériel chromosomique déficient ou amélioré , mais le corps humain ne peut jamais n'être qu'un corps parmi d'autres. De plus c'est un corps vivant, traversé d'une vie qui vient d'au-delà de lui-même et de nous qui l'observons ou l'accueillons.
Dès la conception, il s'agit chaque fois d'un corps singulier, unique (aux caractéristiques biologiques précises et de l'espèce humaine), à protéger comme celui d'une personne. Le mystère du corps « donné » de l'enfant qui naît, demeure « gardé » en son origine, dès la conception. Il n'est pas qu'un pur « visible ». Il n'appartient pas seulement au « monde de l'avoir » et de l'observable. Il est à jamais parce qu'il a été donné pour toujours . « Notre corps, avec ses chromosomes et ses gènes reçus des parents, est en nous le témoin que la source de notre vie est hors de nous. Or il ne nous est pas extrinsèque. Il appartient à notre être propre » .
La vie est comme le souffle : elle traverse le temps et l'espace. Elle est visible dans l'ordre de la Création et se manifeste de multiples manières. Elle dépasse les individus et les vivants de toute espèce. Nous pouvons louer le Seigneur pour la vie dans laquelle nous baignons : elle nous entoure, elle est en nous et autour nous. Cette vie est indissociable de corps « vivants » et elle revêt pour l'être humain des traits bien particuliers. Cette vie est qualifiée par les traits personnels de chaque être humain. La vie nous donne de vivre : même si elle est présente et observable à travers de nombreux phénomènes et de nombreuses personnes différentes, nous l'observons dans le corps qui est le nôtre et dans tout corps vivant.
La vie n'est ni une idée ni une abstraction. Elle a besoin d'un « support » : elle se voit dans des corps. La vie n'est pas « extrinsèque » à la personne : elle lui appartient en propre tout en étant présente dans de nombreux vivants. La vie humaine se dit dans le corps d'une personne. Elle est une parabole d'une vie plus grande que la vie terrestre. Ainsi est-il si important de protéger, de favoriser, de fortifier le « phénomène vie » là où il se manifeste. Dans l'embryon humain, la vie est bien présente. Si elle irrigue ce « nouveau corps embryonnaire », elle nous dit un peu ce qu'elle est et la grandeur de celui qu'elle habite. Le corps embryonnaire appartient au monde des personnes créées par Dieu et appelés par Lui, pour toujours, à une vie éternelle.