Homélie du 7 juin 2024
Funérailles de Md. Arlette Dubuisson (1 Jn 4,7-10 ; Ps 23 ; Mt 11, 25-30)
Pour les petits enfants, leur maman est toujours la plus belle et la plus gentille du monde ! Elle est la personne de confiance, de refuge, de consolation. L’enfant repose en paix sur le cœur et la poitrine de sa mère. Il est bien dans ses bras. Cette immédiateté de l’amour est comme naturelle chez l’enfant. Elle rentre aussi dans le plan de Dieu : comment comprendre ce qu’est l’amour divin si l’on n’éprouve pas dans sa chair une assurance de vie et d’amour proche ? La relation entre la mère et l’enfant n’est pas seulement spontanée, fusionnelle, mais elle est spirituelle. Elle dit comment Dieu se manifeste comme « Dieu amour parmi nous » : Emmanuel ! Si le Fils unique a désiré naître d’une jeune femme d’Israël, Marie, c’est pour montrer la mission de toute mère et dire quelque chose de la condition humaine. « Voici à quoi se reconnaît l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier » nous dit saint Jean. Ainsi toute mère est témoin de cet amour de Dieu pour l’humanité. Ce n’est pas seulement un instinct, c’est aussi un acte de liberté et une décision, une collaboration avec la volonté divine.
Arlette, celle que nous honorons aujourd’hui est une maman pour toujours : elle a rejoint le Père des cieux après une longue vie d’épouse et de mère. Elle demeure, sous une autre forme, notre mère dans l’éternité. Tous les beaux liens familiaux et d’amitié qu’elle a tissés demeurent, transformés, invisibles, mais réels. Nous croyons en ce monde invisible. Nous croyons que la vie de tout être humain est éternelle.
Ce n’est pas une femme parfaite à laquelle nous pensons. Cependant elle est unique aux yeux de Dieu et à nos yeux. Elle n’est pas interchangeable : c’est une femme, épouse et mère, qui a essayé d’aimer dans la vie ordinaire et qui a eu le temps, durant de nombreuses années, de nous montrer combien elle nous aimait et s’intéressait à tous. Notre mère avait beaucoup de qualités, mais les dernières années de sa vie ont accentué son anxiété à travers la souffrance et la solitude. Elle a dû porter de lourds handicaps au cœur, aux yeux, aux oreilles. Elle a dû lâcher beaucoup d’éléments de sa vie qui lui tenaient à cœur : son époux, mort trop tôt, des amis de son âge qui disparaissaient, sa maison qui était comme un repère de leur amour conjugal et familial, sa mémoire qui faiblissait et n’intégrait plus tous les prénoms des arrières petits-enfants, ses voisines qu’elle ne pouvait plus voir de la même manière.
Enfant unique, notre mère a vécu beaucoup d’exodes d’elle-même dans sa vie déjà depuis le Congo jusqu’à la Belgique. Elle a été heureuse et a cherché à faire le bien pour les autres. Un temps, faire des confitures était sa joie, un autre temps, c’était d’aller à la mer avec ses petites-filles, souvent c’était transmettre de petites nouvelles, prendre intérêt des autres, participer aux fêtes familiales. Depuis plus de 20 ans, nous avons de plus l’image d’une femme vaillante, courageuse, déterminée, parfois taiseuse, désireuse d’assumer le maximum de sa vie surtout depuis le décès de son mari. Nous sommes tentés d’oublier les temps antérieurs où son activité faisait de la maison un lieu de paix et de joie, où elle prenait soin des « petites choses de la vie » et où elle resplendissait dans le dialogue avec des amies et aimait bien sortir au théâtre. Une maman est toujours belle, et le reste même avec les changements corporels et relationnels dus aux années qui passent. Elle est restée plus longtemps que la plupart d’entre ses connaissances avant de vivre de longs moments de solitude dont nous avions peine à comprendre la signification.
Toutes les mamans du monde nous rappellent notre origine : nous n’avons rien fait de nous-mêmes pour venir au monde. La vie est un don. L’existence de nos parents nous le rappellent. Mais une maman nous dit de plus que cette vie a de la chair, du contenu, un développement : une vraie histoire avec des joies et des peines. Pas besoin de grandes études ni de fortes expériences, pour comprendre que notre origine vient d’ailleurs et d’en-Haut. Nos mamans nous disent implicitement ou explicitement que notre vie vient de Dieu et appartient à Dieu. L’amour vient de Dieu : saint Jean, dans ses écrits de sagesse et de vieillesse, nous parle beaucoup de l’amour en nous appelant « ses petits enfants », ou ses « bien-aimés ». Cette fibre maternelle de l’apôtre nous ramène à l’essentiel de nos vies : un amour qui nous dépasse mais auquel nous pouvons participer. « A quoi sert-il à l’homme de gagner l’univers s’il en vient à perdre son âme » ? disait Jésus à ses disciples. Saint Jean nous l’affirme : « Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour ».
Cette appréhension de l’essentiel d’une vie n’est pas trop difficile à comprendre, mais il est bon de l’exprimer. « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ». Il est vrai que cet essentiel n’est pas toujours facile à vivre. « Puisque Dieu nous a tant aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres » ; et accepter nos différences générationnelles et autres.
Pourtant l’affirmation suivante traversent les âges et appartient à notre responsabilité : « Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu ». Et nous le savons, seul l’amour peut vaincre le mal, la souffrance et surtout la mort qui marquent nos vies. Dieu fait le premier pas vers nous en nous offrant son Fils comme Sauveur. Comment reconnaître et croire que l’amour de Dieu est parmi nous ? En donnant « amour pour amour » : telle est la réponse. « Ce qui a été révélé aux touts petits, » dit Jésus, c’est cette logique. Aimer le Christ Sauveur car il nous dit « qui est » le Père des cieux plein de bonté. Nous pouvons avec confiance, aller à l’essentiel car le bon berger qu’est le Christ nous montre un chemin assez direct et dans lequel il nous accompagne. Le départ d’une maman est une occasion pour réfléchir à nouveau sur notre condition humaine et sur cet appel du Christ : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau ».
Dans le psaume, nous l’avons entendu, le Christ est le bon berger et il prend soin de chacun d’entre nous. Une phrase résonne fortement pour nous aujourd’hui : « si je passe le ravin de la mort, je ne crains aucun mal, ton bâton, ta houlette sont là qui me rassurent » (Ps 23). Si la beauté et les dons humains d’une personne semblent disparaître, nous souhaitons et nous croyons que tout n’est pas perdu et que rien ne disparaît dans les oubliettes de l’histoire. La vie d’une personne aimée entre dans la mémoire et le cœur de Dieu. Elles restent aussi en nous et si « peinons sous le poids du fardeau, Jésus nous procurera le repos. Car le bon berger « est doux et humble cœur ». Il est possible de trouver le repos auprès de lui. Le repos est plus profond que le deuil.
La mort n’est pas simplement un départ ou un oubli total : elle est un repos pour tous. Elle l’est pour la personne qui s’en est allée, elle l’est pour ceux et celles qui demeurent sur la terre. Le « repos » dont il s’agit, n’est pas simplement le sommeil et la récupération, ce repos est la paix que donne le Christ lui-même à chacun d’entre nous. Paix de savoir que Dieu lui-même continue à prendre soin d’elle, à lui donner une vie heureuse, une destinée éternelle qu’elle pourra partager avec d’autres dont son mari Etienne. Paix de savoir que Dieu prend soin aussi de chacun de nous pour rendre le fardeau et la peine plus légers et pour continuer à nous centrer sur l’essentiel : l’amour. Paix de savoir qu’une maman, comme toute mère, continue à aimer et à prendre soin de ses enfants lorsqu’elle est avec Jésus. « Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en Lui ».