Quelques paroles pour des personnes qui jugent l'Eglise trop dure, voire injuste, dans sa discipline sacramentaire, en particulier envers les personnes divorcées et remariées ?
Nous n’avons pas toujours les mots pour traduire la beauté des sacrements et de ce qu’ils représentent pour les croyants. En fait, il s’agit pourtant de réalités très simples (du pain, du vin, de l’eau, de l’huile) qu’un mot de Jésus accompagne dans une communauté de foi dans laquelle un ministre ordonné est au service de l’expression de cette foi : un diacre, un prêtre ou même un évêque. Pour le mariage, c’est simple mais aussi complexe puisque le sacrement concerne deux personnes qui s’engagent. Le mariage est à la fois un signe très « nature » et très « culture » : il suffit de voir comment on organise les fêtes ! Et Jésus en a fait un signe très « religieux » : un signe d’une Alliance entre l’Église et Lui-même. Le conjugal est un signe très privilégié dans le langage de la création et dans les écrits bibliques. Dans de nombreux peuples, le mariage est aussi un signe religieux : qui met en lien avec la divinité.
L’Église n’a pas inventé les sacrements : petit à petit, à travers la Parole de Dieu et la Tradition spirituelle, elle a découvert et discerné leur importance et leurs enjeux. On appelle l’économie sacramentelle l’ensemble des 7 sacrements et le corps que forme l’Église des croyants. Et l’Église essaie d’être fidèle à l’intention profonde du Christ à travers ces signes. Elle ne peut pas en inventer de nouveaux ou les modifier totalement de manière arbitraire. Certains éléments accessoires des signes peuvent changer, mais la réalité profonde vient du Christ et de son Esprit dans l’histoire. De fait, ce ne sont pas que des « rites » comme dans les autres religions : ce sont des signes de la présence de Jésus grâce à l’action de l’Esprit.
Souvent, on parle de « discipline » de l’Église et de dureté des lois pour tel ou tel sacrement ou rite, sans faire trop la différence entre ce qui est essentiel et ce qui est accessoire. On oublie souvent aussi que la vie et l’élaboration de ses signes ont une histoire et que ces signes ne sont pas d’abord des normes mais des symboles. On peine aussi à se convaincre et à garder en mémoire que l’Église n’a pas tout pouvoir sur ces signes. Elle peut et doit donner des indications pour bien les vivre, mais le Christ historique a dit quelque chose sur le sens du pain sans levain qu’il a donné durant le dernier repas du sabbat et dans chacune de nos eucharisties. L’Église essaie de le comprendre et de le transmettre fidèlement. Elle est appelée à en rendre compte de générations en générations : catéchèses et enseignements nous y aident. Mais des points restent parfois délicats : entre chrétiens d’Eglises différentes (par exemple : l’âge de la première communion ou la succession des sacrements d’initiation chrétienne). Pour le mariage, il existe aussi des blessures et des points difficiles à trancher ou à discerner : la validité d’un mariage, la préparation adéquate, la foi des époux et leur liberté à s’engager, la mission du diacre et du ministère ordonné.
Pour le mariage, nous voyons depuis l’origine de l’humanité que l’amour humain peut s’éteindre ou s’appauvrir. Des échecs ont existé de tout temps. Ils semblent plus nombreux aujourd’hui dans certaines parties du monde. Comment assumer ces échecs de l’amour dans le sacrement du mariage mais aussi dans le respect de l’unité des sacrements ? On ne vit pas tous les mêmes sacrements et pourtant ils sont « pour tous ». Et la vie d’un sacrement a des répercussions sur les autres. Ainsi, le mariage valide est un signe permanent dans la vie des époux. Si ce signe perd de son éclat et meurt, qui le porte sinon le Christ, dans le corps qu’est l’Église ? Séparations, divorces, violences blessent aussi le cœur de Dieu puisqu’il s’y est engagé de manière permanente. Et si l’amour humain est vécu ou renaît dans d’autres relations, cet amour n’est pas en dehors de sa source : le Christ. Tout amour est sauvé par Lui et cela prend du temps dans nos vies d’hommes. Rien de ce qui est bon et beau n’est en dehors du cœur du Sauveur. Il prend même nos péchés et nos imperfections : c’est là sa puissance. Ainsi le Christ peut-il assumer en Lui toutes les actions humaines même s’il ne change pas radicalement les conséquences des infidélités et de certains échecs de l’amour humain. Il est venu sauver ce qui était perdu, mais il ne peut pas transformer sur la terre toutes les conséquences de nos actes. Il fait comme nous et nous comme Lui : on les assume dans le maximum de paix et d’amour.
L’Église est appelée aussi à être fidèle à cet amour sauveur, mais comme le Christ elle porte en son cœur et dans sa prière certaines contradictions ou les conséquences d’échecs puisqu’elle vit et offre les sacrements de la vie. Les relations nouvelles ne peuvent pas être les mêmes totalement pour un couple qui a divorcé et dont les membres se sont remariés. Dans le corps de l’Église, la grâce est toujours là pour tous et nous savons qu’elle passe par les sacrements mais aussi par d’autres lieux dans le sacrement qu’est l’Église. Le langage pour parler de la préparation, de l’accès aux sacrements peut apparaître sec ou injuste, bref ou inadapté. Il s’agit de trouver les mots en respectant la réalité dont nous ne sommes pas maîtres entièrement. Car on ne peut pas changer toutes les réalités relationnelles : ce qui a été promis est promis. Ce qui est devenu impossible, le reste avec la force de Dieu pour le porter. La discipline de l’Église, si elle n’est que discipline, règles, lois, peut changer. La réalité elle-même dépend de la liberté du Christ sauveur et de ceux et de celles qui le suivent. Et cette réalité dépasse les règles de l’Église et des baptisés : le mystère de toute alliance, blessée, construite ou pas, entre dans le plan de Dieu. Des blessures peuvent être la source de beaucoup d’amour, mais elles restent des blessures ou des réalités qu’on ne peut pas changer ou accommoder à notre guise. Sans entrer dans toutes les discussions difficiles et précises sur les divers cas posés, il nous semble qu’il faut fortifier notre foi dans une présence de Dieu à toutes les personnes, à tout instant. Les normes ne disent pas le tout de l’amour de Dieu et n’assurent pas le bonheur vrai. La grâce de Dieu est toujours devant nous : elle nous devance. La vie et le bonheur visé par des cœurs droits nous placent toujours dans le cœur de Dieu. Dieu nous offre sa vie en son Église dans ses sacrements, mais il est encore plus grand que tous les sacrements et que toutes les manières de les vivre et de les enseigner.