BESMOND DE SENNEVILLE L. et STEFFENS M., Et si c'était la fin d'un monde ? Enquête et entretien sur la loi de bioéthique 2020, Paris, Bayard, 2019.
La loi de bioéthique 2020 en France marque un tournant dans les questions de filiation, l'extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, les manipulations des embryons. Les questions morales sont décisives : elles impliquent des visions de l'homme radicalement opposées à la vision chrétienne. Les enjeux politiques sont ressentis comme importants et les manœuvres du pouvoir visent à éviter une explosion sociale pareille à ce qui a été vécu pour le mariage pour tous (2012-2013).
La première partie du livre nous décrit les méandres de l'avènement de cette loi et les contacts divers qui ont été établis entre des acteurs sociaux et politiques opposés. La méthode d'Emmanuel Macron vise à éviter de « faire des vagues », tout en visant clairement certains objectifs. L'enquête nous permet de suivre fidèlement la genèse de ces rapports de force et de mieux comprendre les idéologies qui sous-tendent les interventions. La description de ce chemin est éclairante et nous éloigne de certaines naïvetés. Les acteurs, même dans la discrétion, ne se font pas de cadeau ! Quelles sont leurs motivations profondes, en-deçà ou au-delà des rapports politiques ? La réflexion est-elle profonde et les conséquences sur notre monde sont-elles bien pesées ? On peut parfois en douter et être rempli de craintes.
Le philosophe approfondit les enjeux en dialogue. Comme souvent, M. Steffens a le don de certaines formules qui « donnent à penser » et qui sortent aussi des sentiers battus. Sous la forme d'un entretien, il aborde les questions d'un modèle anthropologique (1), nous conseille de nous résoudre à l'improvisation (2) et décrit ce qu'il appelle le « moment Nazareth » (3). Nous sommes passés d'un modèle aristotélicien à un modèle selon Hobbes (1). Mais la valeur d'un modèle dépend de l'acceptation du donné brut de la réalité humaine. Les données biologiques sont-elles un « déjà-là » qui a un sens et à qui on peut donner un sens ? Le relationnel est-il plus important que l'individuel ? L'auteur prône une anthropologie à partir du don : elle suppose une acceptation positive des limites manifestées dans le corps et une ouverture au sens de l'histoire ? Pourquoi ne pas abandonner le mot « projet » de nos réflexions et par suite nous abandonner à la réalité humaine telle qu'elle est et apparaît ?
L'improvisation (2) est la manière dont le chrétien peut vivre dans un « enfer posthumain ». L'improvisation consiste à rester dans le réel mais en ajoutant du récit comme au théâtre : improviser, c'est dire plus que ce que nous avons à subir et dès lors se confier à Dieu. Car la providence de Dieu est une improvisation. Au lieu de tout « prévoir », apprendre à « pourvoir » : voir comment « on va surenchérir en humanité dans un monde qui est de moins en moins humain » (p.194). Consoler, c.à.d. « consentir à notre impuissance et en faire l'occasion d'une présence » (p.195). Ainsi, il ne s'agit pas de fuir le monde tel qu'il se développe, mais d'y demeurer dans l'espérance.
« Il y a toujours un moment où nous sommes démunis par rapport aux situations réelles de la vie » (p.220). La règle ne suffit pas et son rappel est parfois inutile (3). Il faut vivre dans les tensions et les contradictions. « Nazareth », c'est « être avec » (p.223). Observer le monde sans peurs, parfois dans le silence, dans l'attention à autrui à partir de la faiblesse et de la pauvreté. Il nous faut apprendre à vivre ce que nous avons à vivre sans rappeler de manière extrinsèque une morale qui n'est plus entendue. L'a. prône non pas un repliement de l'Eglise, mais un développement de sa sagesse pour continuer à « parler » au monde tel qu'il est. Selon lui, « Nazareth » est probablement le moment symbolique à vivre aujourd'hui, comme le Christ y a vécu pendant 30 ans. Telles sont les réflexions originales qui nous sont offertes et qui mériteraient un débat.